Être. Exister. Sentir. Ces mots là n'ont plus aucun sens... Seules restent les bribes. Quelques souvenirs à peine, morcelés. Et là, on est recroquevillé. À attendre que les choses se passent ? Non. À subir le poids du temps. Ou peut-être devient-on encore plus... Que disais-je, déjà ? Rien n'a de sens, par ici.
Bienvenue dans les abîmes.
Imaginez que toutes les feuilles du monde tombent. Imaginez que l'herbe s'envole et se perd à jamais dans les cieux. Imaginez une terre noire et un ciel noir clair. Imaginez que le soleil a totalement disparu. Le vent aussi. L'eau aussi. Il ne reste que cette terre noire et une sorte de brume grisâtre tombant partout sur le monde. Le... monde ? Il ne mérite pas d'être nommé ainsi. Je l'appelle "L'Abîme".
J'y suis seul. Il n'y a rien. Rien qu'une infinie étendue. Ici, le temps s'est arrêté. Je ne sais plus où j'en suis, ni ce que je fais là. Je suis mort. Il n'y a plus rien. Pourtant, il y avait quelque chose, auparavant. Je ne parviens pas à m'en rappeler. C'était... Qu'était-ce ?
Une... Fleur. Et... Quoi d'autre ? Quoi d'autre ?
Chaque instant de ce temps figé est passé dans ces tentatives de reconstitutions du temps perdu. Mais ici, il n'y a plus rien. Ces souvenirs s'effilochent de plus en plus. La fin arrive-t-elle...? Je vois mes mains. Elles sont sombres dans le noir. Mais elles tiennent une fleur. Et, émerveillé, je la regarde se ternir, perdre son éclat, puis sa couleur, puis sa consistance ; elle se transforme en poussière. Glisse entre mes doigts.
Mes doigts partent en cendres aussi. Ils partent. Mes mains partent. Mes membres partent. Est-ce la fin...?
Non. Toujours pas. Combien de fois ai-je pu faire ce rêve éveillé ? Dans l'Abîme, il n'y a rien d'autre que ces sortes de songes gris, en pièces. En... quoi ? En rien du tout.
Est-ce la fin ? Sera-ce bientôt la fin ? Serait-ce bientôt la fin ? Va-t-elle venir ?
Toujours rien. Je ne sais plus grand-chose, à présent. Je ne sais plus penser, je ne sais plus bouger, je ne sais plus vivre. La mort m'a depuis bien longtemps emporté. Pourtant, je puis encore me mouvoir et formuler mes songes.
Je ne sais pas ce que je suis. Un cadavre ou un fantôme ? Où suis-je ? C'est vrai, je suis dans l'Abîme... Non, je ne suis nulle part. Enfermé et libéré.
Plus d'espoir. Plus de lumière. Plus rien. Où suis-je...?
Ce cycle se répète indéfiniment. Non, il s'est déjà fini. Alors, quand suis-je ? Dans cette seconde figée, où rien n'existe, où rien ne vit ni ne meurt.
... Il n'y a plus rien...
...
Plus rien.