Le lac. Un lac. La neige. La neige qui tombait sur le lac, sur tout le pays... Recouvrant les terres d'une fine couche blanche, immaculée. Des milliers de flocons tombaient, c'était magnifique, tout simplement. Comment décrire la neige ? Ce jour ci, il neigeait à gros flocons. De gros flocons blancs qui tombaient se coucher sur le sol, ou qui venaient se percher sur les arbres. Elle tombait silencieusement, parfois elle fluctuait sous la force du vent, ainsi, les lignes verticales qu'elles traçaient depuis le ciel étaient parfois penchées. La neige tombait dans tous les sens. Les flocons se croisaient, dans un chaos inanalysable. Elle était froide au toucher, et en la regardant de très près, on pouvait distinguer la forme du flocon : ses minuscules petites branches, d'une symétrie avoisinant la perfection, mais aucun flocon n'était parfait, il s'écrasait sur le sol (bien qu'il semblait flotter dans l'air plutôt que de tomber comme de la pluie). Les arbres étaient blancs. Le sol était blanc. Il n'y avait aucune couleur. La neige avait mortifié ce lieu. Le ciel était gris, le vent ballotait les flocons. Il n'y avait plus de traces de végétation. Ni d'aucune vie. Les animaux hibernaient, et les autres se contentaient de rester terrés dans leur terriers, dans leurs nids, dans leurs abris, pour échapper à la morsure du froid. Il n'y avait aucune gibier à chasser, seul, le loup traquait, désespéré, mort de faim, tentant souvent en vain de trouver du gibier. Il s'avéra toutefois que le loup n'était pas seul à marcher solitairement dans la neige, ce jour-là. Il y'avait quelqu'un d'autre.
Il y'avait cet étrange être tout de noir vêtu. La neige lui arrivait aux genoux. Tout comme son manteau. Il n'avait pas de capuche. Ses cheveux étaient à l'air. De longs cheveux noirs, très longs, qui lui arrivaient jusqu'au milieu du dos. Ils redescendaient en une mèche qui lui couvrait un oeil, l'oeil droit. Ses habits étaient très abîmés, presque en lambeaux. Il portait également une vulgaire écharpe grise, sans doute délavée par le temps (elle aurait bien pu être bleue, autrefois. Ou même verte. Peu importait. Il était seul. Seul sous la neige. Il errait dans la forêt, semblant se repérer mystérieusement. Au terme d'une assez long marche, il arriva aux abords du lac. Il promena un regard nostalgique sur l'étendue de glace qui faisait plusieurs kilomètres. Un grand lac. Limpide. Il n'y avait pas de neige sur la glace, celle-ci semblait mystérieuse en elle-même. L'eau du lac avait des propriétés magiques, c'était sans doute l'oeuvre d'un magicien quelconque. Ou peut-être pas. Peut-être était-ce tout simplement ainsi depuis la nuit des temps. La glace était parfaitement lisse. L'homme y posa le pied. Elle ne se fissura pas. Il appuya un peu pour en vérifier machinalement la solidité, puis y posa le deuxième pied, assez précautionneusement. Il marcha sur la glace jusqu'à ce qu'il se retrouve au milieu de nulle part, perdu. La neige était si dense qu'il ne pouvait voir ni à gauche, ni à droite, ni devant, ni derrière. Il était hors de l'espace-temps. Il n'y avait rien autour de lui. Il était l'unique. Il resta debout, semblant attendre quelque chose. Etrangement, la neige n'avait aucune prise sur lui, il n'avait aucun flocon sur ses vêtements, ni sur son visage, ni sur ses cheveux. Pourtant, il neigeait ardemment. Il attendit pendant un temps interminable, dans cette brume, dans cette neige, dans ce froid hivernal. Et soudain, de nulle part, sortit un loup. Il marchait à sa rencontre, la gueule ouverte, la langue pendante, la queue bougeant au rythme de ses pas. Il parvint au niveau de l'homme, puis il reprit forme humaine.
Il se transforma dans une gerbe d'étincelles bleues. Et il redevint un être humain. Il était exactement comme l'autre. Ils étaient similaires. Simplement, le loup était beaucoup plus jeune. Il n'avait pas de barbe, ses cheveux étaient coupés plus courts, son regard était plus vif, ses vêtements en meilleur état, et son écharpe était bleue. Ils se dévisagèrent en silence, puis ils s'approchèrent l'un de l'autre, et dansèrent. Ils dansèrent, se prirent dans les bras, par la main, tournant, tournant encore et encore. Ils tournèrent tant qu'ils se retrouvèrent perdus dans l'espace, un espace bleu infini, leurs pieds n'avaient prise sur rien, et pourtant ils pouvaient continuer à danser. Ils étaient dans le noir absolu, et soudain, une étoile s'illumina, puis une autre, puis une troisième, et ce fut tout le cosmos qui se réveilla. Le premier homme (pas le loup, donc), se métamorphosa à son tour, et il se transforma en... Gérard. Il ne portait pas son gros manteau, ni sa capuche, il portait les vêtements qu'il avait en dessous, et son visage était à découvert. Ils dansaient toujours autant. Une valse au beau milieu de l'univers infini. Des millions de petits points blancs. Des millions ? Non, ils étaient tout simplement innombrables. Il y'avait autant d'étoiles que de flocons de neige qui tombaient devant la fenêtre de l'auberge dans laquelle dormait Gérard.
Il se réveilla en sursaut. Il neigeait dehors.
<<Quel drôle de rêve... A qui... Appartenait-il ?>>
Il sortit de son lit, se regarda dans un miroir, pour la première fois depuis un long moment. Son vrai visage.
<<Je me demande... Quel jour nous sommes.>>
Une chanson trottait dans la tête de celui dont personne ne connaissait le nom. Il s'habilla en la marmonnant.
"Imagine there's no Heaven
It's easy if you try
No hell below us
Above us only sky
Imagine all the people
Living for today
Imagine there's no countries
It isn't hard to do
Nothing to kill or die for
And no religion too
Imagine all the people
Living life in peace
You may say that I'm a dreamer
But I'm not the only one
I hope someday you'll join us
And the world will be as one
Imagine no possessions
I wonder if you can
No need for greed or hunger
A brotherhood of man
Imagine all the people
Sharing all the world
You may say that I'm a dreamer
But I'm not the only one
I hope someday you'll join us
And the world will live as one"
Et il imagina.
Il regarda le miroir et pensa :
"Joyeux anniversaire..."
Mer 8 Déc - 15:35